Personnes autochtones, noires, de couleur, racisées

D’entrée de jeu, il faut dire qu’il est impossible de bien représenter tous les enjeux liés aux personnes autochtones, noires et de couleur (PANDC) au sein de cette page éducative. Comme pour toutes les autres pages similaires sur le site Diversité en jeu, nous avons inclus des liens vers une grande variété de ressources éducatives qui vous permettront de parfaire votre compréhension de ces enjeux, à votre rythme. Cette page constitue un premier pas et propose des éléments de réponses aux grandes questions qui émergent par rapport aux personnes racisées dans le domaine de la culture du jeu.

Personnes racisées?

Ce terme est encore relativement peu connu et il n’est que rarement utilisé par les communautés qu’il désigne. Ce n’est pas surprenant puisqu’il souligne en fait une réalité assez difficile : de trop nombreuses personnes subissent diverses formes de discrimination très bien documentées à ce stade, par exemple dans un processus d’embauche, en fonction d’aspects ethniques ou culturels perceptibles. Ainsi, la « racialisation » désigne et dénonce le processus d’exclusion vécu par ces gens.

Ce n’est pas seulement la couleur de peau ou l’accoutrement d’un individu qui peut marquer la différence et mener à un traitement injuste : un nom associé à une origine ethnoculturelle qui ne correspond pas aux traditions québécoises sur un C.V. peut inciter un-e recruteur-euse à écarter certaines candidatures. Les personnes qui effectuent cette discrimination le font souvent de manière inconsciente. Dans le cadre de cette page, il ne s’agit pas de trouver des coupables mais bien de réaliser que ces processus inconscients sont extrêmement communs.

Est-ce que la « discrimination positive », par exemple le programme de stages rémunérés Diversité en jeu, ne reproduit pas au fond ce processus de racialisation?

Diversité en jeu ne correspond pas à de la discrimination positive au niveau de l’embauche, à savoir le fait de prioriser des gens issus de communautés sous-représentés lors de l’affichage d’un poste. Il s’agit de fournir des stages qui n’existeraient pas sans la contribution des membres du comité, des studios de jeu et des partenaires financiers. L’idée est de créer des opportunités pour des gens qui ont de bonnes raisons de croire que ce domaine de la culture n’est pas fait pour eux, notamment parce qu’ils n’y sont pas toujours bien représentés. C’est particulièrement vrai pour les gens issus de groupes racisés. 

Ceci étant dit, il n’est pas surprenant de constater que certaines organisations finissent par s’en remettre à un processus de discrimination positive (qu’on désigne aussi par l’expression « action affirmative »). Ce type de mesure est notamment mis en oeuvre lorsqu’une institution constate l’homogénéité de ses travailleurs, particulièrement si cette dernière se prolonge sur une longue période.

L’action affirmative n’est sans doute pas une mesure idéale et elle suscite beaucoup de réactions négatives, notamment à droite du spectre politique. Il faut bien comprendre qu’il s’agit en fait d’une mesure de rattrapage. Lorsqu’une organisation ne parvient pas à attirer les personnes de couleur depuis un certain temps, il est probable que les mécanismes inconscients évoqués plus haut entrent en jeu. Il peut donc être nécessaire d’ajouter une roue à l’engrenage afin de rééquilibrer le système. 

Les grandes franchises de jeu vidéo intègrent de plus en plus de personnages de couleur. Est-ce qu’ils le font de manière cynique, pour être « politiquement correct »?

Il est tout à fait probable que certains studios de jeu vidéo – tout comme les autres grands studios dans le domaine du cinéma ou de la télévision – intègrent des personnages issus de communautés sous-représentées afin de « montrer patte blanche ». Plusieurs studios suscitent des réactions épidermiques sur les médias sociaux de la part de certains amateurs au moment d’introduire ce type de personnage, ou alors quand l’identité ethnique d’un héros bien connu est modifiée. 

Ces réactions démontrent le caractère viscéral de l’attachement identitaire vécu par plusieurs fans à l’égard des figures héroïques comme les avatars de jeu vidéo. Si vous êtes une personne blanche, il vous est sans doute difficile d’imaginer la réalité vécue par quelqu’un qui peine à trouver des personnages inspirants qui lui ressemblent dans les grandes franchises de jeu vidéo ou dans le reste de la production culturelle. Pour une personne de couleur ou racisée, c’est une situation assez courante. 

Est-ce que certains studios intègrent des personnages associées aux communautés culturelles marginalisées par opportunisme? Très certainement. Mais c’est également par opportunisme qu’on cible depuis des décennies les jeunes hommes blancs dans un nombre incalculable de jeux vidéo populaires en Amérique du Nord. Si le ciblage des personnes de couleur vous interpelle, pourquoi ne pas remettre en question le ciblage des hommes blancs hétéros également?

Ceci étant dit, soulignons que de nombreux studios réalisent des projets ambitieux et populaires qui tentent de représenter les personnes autochtones, noires et de couleur de manière respectueuse, et non pour s’inscrire de force dans l’époque du « politiquement correct ».

Mais si les créateurs et créatrices ne sont pas issu-es de la communauté représentée, est-ce qu’il s’agit d’une forme d’appropriation culturelle?

La question de l’appropriation culturelle a déchaîné les passions au Québec au cours des dernières années. Globalement, on désigne ici le fait de représenter la réalité d’un groupe (racisé ou autre) sans que ce dernier ait été impliqué dans le processus. Dans le cadre des grandes franchises évoquées plus haut, où les équipes de création sont parfois constituées de centaines d’individus, c’est une question complexe. 

Une grande partie des fictions populaires ne se donne pas pour objectif de parler directement des réalités vécues par des personnes de couleur. Dans cette perspective, la « diversité de façade » pourra apparaître superficielle aux yeux des gens concernés. Par contre, elle permet sans doute de normaliser la présence des personnes de couleur dans notre culture, ce qui peut avoir des effets bénéfiques (par exemple pour de jeunes joueuses et joueurs qui trouveront plus facilement des avatars à leur image, au lieu d’un avatar blanc qui nous apparaît trop souvent comme le point de référence « normal »)

La forme la plus problématique d’appropriation survient quand on tente de représenter l’histoire ou le vécu de différents groupes ayant subi diverses formes d’exclusions ou d’oppressions, sans avoir impliqué directement ces derniers dans l’ensemble du processus créatif. Le contexte est aussi important. Par exemple, porter un vêtement traditionnel autochtone ou indien (comme le sari) n’importe où et n’importe quand, sans connaître les usages et significations de ces vêtements, pourrait être perçu de manière négative.

C’est, au fond, exactement la même question qui s’est posée au moment de rédiger ces pages. Si vous désirez parler de réalités vécues par des personnes racisées et que vous ne faites pas partie du groupe en question, il est impératif de consulter le plus de gens possible, en procédant de manière respectueuse (voir la page « premiers pas » pour quelques bons trucs dans ces démarches). C’est le gros minimum.

Parfois ce n’est pas suffisant, on l’a vu au Québec avec l’épisode de Slav et de Kanata. Même si le célèbre metteur en scène derrière ces projets est reconnu dans le monde des arts pour son ouverture à l’autre, et alors même qu’il incarne plusieurs identités marginalisées à lui seul, une partie du public a mal réagi face à ces propositions. 

Encore ici, la tentation de débattre des grands enjeux comme la liberté d’expression a pris le dessus et provoqué des réactions très fortes nourries par la couverture médiatique. Tout le monde a le droit d’exprimer son opinion sur le sujet. Si l’on tient réellement à ce principe, il faudrait au moins s’assurer de ne pas encourager les personnes blessées à se taire. Après, dans le contexte où la colère s’installe, on ne pourra pas régler facilement les grandes questions comme les limites de la liberté d’expression. Pourquoi ne pas investir toute cette énergie pour essayer de faire mieux?

Peut-on vraiment justifier des réactions aussi fortes à propos d’un personnage de jeu vidéo, d’une œuvre, d’un mot?

Évidemment, des images prises hors contexte qui apparaissent dans les médias peuvent sembler difficiles à comprendre. Une fois qu’on se renseigne sur les situations vécues par les personnes noires, autochtones ou racisées, on peut imaginer ce qui mène à ce type de réaction plus facilement.

Comprendre toute la violence vécue par certaines communautés dans notre histoire récente peut se révéler difficile. Confronté à cet héritage troublant, certaines personnes blanches auront une réaction défensive, voire épidermique. On pourra également contourner ces faits douloureux en se lançant dans d’interminables débats sémantiques, par exemple sur le sens du mot « génocide » ou de l’expression « racisme systémique ». Du point de vue de personnes qui ont subi des violences raciales, toutes ces réactions sont incroyablement frustrantes : on semble y investir plus d’effort collectivement que dans des gestes de réparation et d’ouverture aux communautés. 

Dans ce contexte, certains groupes adoptent une position très ferme par rapport à la représentation de leur réalité dans les médias comme le jeu vidéo : « rien à propos de nous, sans nous ». Pour les nations autochtones, l’historique des rapports avec les peuples colonisateurs est vraiment troublant. La seule façon respectueuse de procéder est de les amener à la table et de les impliquer dans l’ensemble du processus, qu’il s’agisse de création ou d’ententes commerciales.

Dans ce contexte, peut-on encore être maladroit, ou simplement essayer de créer un jeu vidéo, sans se faire annuler?

Nous sommes tous et toutes maladroit-es dans nos interactions à un moment ou à un autre. C’est à peu près inévitable et la majorité des individus blessés ont appris à vivre avec ces maladresses. Connaissez-vous personnellement des gens qui se sont fait « annuler » pour des comportements racistes? Est-ce que l’ampleur de la panique morale autour de la « culture de l’annulation » est justifiée? 

Il ne s’agit pas de nier que des conflits et des situations plus ambiguës puissent émerger. Si ce genre de situation survient, il peut effectivement s’avérer judicieux de réfléchir un peu avant de « débattre ». Que vous ayez raison ou tort, une personne en colère ne peut pas vraiment être réceptive à vos arguments « imparables » qui visent à clore le débat. Vous pouvez appeler cette retenue de l’ « autocensure » si ça vous plaît. Vous avez adopté ce type de retenue avec un grand nombre d’individus dans votre entourage, vous pouvez toujours vous rabattre sur ces bonnes manières dans le cadre de conflits avec des personnes racisées aussi.

Toutes ces politiques identitaires ont été importées des États-Unis, pourquoi se laisser dominer à nouveau par cette influence américaine?

On importe définitivement beaucoup de choses des États-Unis, notamment la culture de masse, les oranges de la Floride, une attitude qu’on pourrait qualifier d’exceptionnalisme, la radio poubelle, ainsi que des idées d’extrême droite défendues par certains politiciens.

Souvent, la circulation des humains et des idées apportent de grandes choses aux sociétés d’accueil. Les théories critiques des phénomènes de discrimination raciale, dans la foulée des travaux de Kimberlé Crenshaw, nous donnent des outils pour mieux comprendre les tensions qui sévissent au sein de nos communautés. Cette perspective critique, qui s’appuie sur des faits historiques, peut nous aider à construire des communautés plus inclusives et respectueuses. 

Comme vous le verrez dans les sections des liens utiles plus bas, on retrouve également des travaux et outils vraiment pratiques pour réaliser ces objectifs produits ici-même au Québec.

OK, vous m’avez convaincu, je veux faire mieux. D’où venez-vous?

Du Québec, et toi?

Non mais vous ne comprenez pas, pourquoi êtes-vous…?

Nous comprenons très bien. Tu essaies de faire mieux en t’intéressant aux origines des personnes noires, autochtones et de couleur. Le hic, c’est que des personnes de toutes ces origines sont ici depuis vraiment longtemps. Au mieux, ce sera perçu comme une question vraiment personnelle lors d’un premier contact. Au pire, cette question sera reçue comme une gifle qui évoque toutes les fois où une personne s’est fait demander « pourquoi tu es brune? ». 

Les « bonnes manières » autour de ce type de question peuvent varier d’une culture à l’autre. Par exemple, il est coutumier de demander à un autochtone ses origines, et ce dès les premières interactions. Après avoir été effacées de l’histoire de différentes manières, des personnes issues des Premiers Peuples peuvent avoir envie de se rendre visible et de faire connaître leur héritage. Dans tous les cas, il s’agit d’être à l’écoute, de ne pas imposer une discussion sur ces sujets si on ne perçoit pas d’ouverture, et d’éviter quelques termes qui démontrent une ignorance complète des enjeux. Par exemple, on sait depuis un moment que les différentes nations autochtones ne viennent pas vraiment de l’Inde.

Vous avez vraiment de beaux cheveux vous savez, je ne peux pas m’empêcher d’y toucher!

Mais on vient à peine de se rencontrer, est-ce qu’on peut se garder une petite gêne? 

(Sérieusement, plusieurs femmes noires qui ont contribué à la rédaction de cette page se font taponner la chevelure par des inconnus dans le métro et des lieux publics. Ça se passe de commentaire!)

Pour continuer à apprendre

En quelques minutes:

Pour le plaisir:

  • Suivez le développement des projets de jeunes studios comme Achimostawinan games et Awastoki
  • Enterre-moi, mon amour, un jeu documentaire sur la crise des réfugiés syriens créé par le studio français The Pixel Hunt, disponible sur les plateformes portables, Steam et Nintendo Switch
  • Kuessipan, un film de Myriam Verreault adapté librement du roman de Naomi Fontaine, 2019, disponible sur ICI.tou.tv extra
  • Never Alone / Kisima Inŋitchuŋa, un jeu créé par le studio Upper One Games, 2014, disponible sur la majorité des plateformes de jeu
  • Reservation Dogs, une série créée par Sterlin Harjo et Taika Waititi, disponible sur Disney+
  • Rutherford Falls, une série créee par Ed Helms, Michael Schur, Sierra Teller Ornelas, disponible sur Showcase.ca
  • Sorry to Bother you, un film de Boots Riley, 2018, disponible sur Netflix
  • When Rivers were Trails, un jeu créé par plus de 30 artistes autochtones (en collaboration avec Indian Land Tenure Foundation), 2019, disponible gratuitement sur le site du projet

Lectures suggérées:

  • Kuei, Je te salue. Conversation sur le racisme, un échange de lettres entre Deni Ellis Béchard et Natasha Kanapé Fontaine, Éditions Écosociété, 2020, 203 pages
  • The Inconvenient Indian: A Curious Account of Native People in North America de Thomas King, éditions Doubleday Canada, 2012, 266 pages
  • De la réconciliation à l’appropriation : retour sur un dérapage annoncé, un article de Jea-Philippe Uzel, Histoire engagée, 2021
  • Racisme et jeu vidéo de Mehdi Derfoufi, Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, 2021, 350 pages
  • Tiohtiáke de Michel Jean, Éditions Libre Expression, 2021, 240 pages
  • Videogames and Postcolonialism: Empire Plays Back de Souvik Mukherjee, éditions Palgrave, 2017, 127 pages